Crise nucléaire au Japon : les réponses à vos questions

Vendredi 11 mars, à 14 h 46, les réacteurs – dont seulement trois sur six étaient en activité – se sont automatiquement arrêtés au moment du puissant séisme qui a touché le Japon, conformément à la procédure d'urgence. Si la réaction nucléaire est quasiment stoppée, leur cœur continue malgré tout de dégager de grandes quantités de chaleur. Il faut donc les refroidir. Mais les lignes électriques ont été coupées par la violente secousse et les groupes électrogènes, censés prendre le relais, ont été noyés par le tsunami. Privés d'alimentation, les circuits de refroidissement ont alors cessé de fonctionner.

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Dans l'enceinte de confinement qui abrite chaque réacteur, la situation s'est alors dégradée. La température augmentant, l'eau qui baigne la cuve contenant le combustible nucléaire s'est progressivement évaporée, provoquant une augmentation de la pression et des rejets d'éléments radioactifs. Pour abaisser la pression, l'opérateur Tokyo Power Electric (Tepco) a procédé à des rejets volontaires de vapeurs. Cette dernière, réagissant avec les gaines du combustible, a provoqué un dégagement d'hydrogène. Pour éviter une rupture de l'enceinte, l'hydrogène a alors été dégazé, et à une concentration avec l'air telle que des explosions en série ont eu lieu. Ce sont ces explosions, spectaculaires, qui ont détruit le toit des structures édifiées autour de l'enceinte de confinement, mais sans, théoriquement, les endommager.

 

Pour refroidir le cœur du réacteur, les autorités ont décidé de noyer l'enceinte de confinement avec de l'eau de mer.

Pour refroidir le cœur du réacteur, les autorités ont décidé de noyer l'enceinte de confinement avec de l'eau de mer.Le Monde.fr

 

>> Voir : Le scénario de la catastrophe

>> Lire : Cinq jours de cauchemar à Fukushima

  • Quel est l'état actuel des six réacteurs ?

Les quatre premiers réacteurs de la centrale sont gravement accidentés. Les réacteurs 5 et 6, plus éloignés, et qui étaient à l'arrêt pour maintenance au moment du séisme, ne seraient quant à eux pas atteints, même si une légère hausse de température a été mesurée.

Réacteur n° 1 : sous l'effet de l'accumulation de l'hydrogène, une explosion a provoqué l'effondrement du toit du bâtiment, samedi. Si l'enceinte de confinement serait intacte, 70 % du cœur du réacteur serait endommagé.

Réacteur n° 2 : une explosion due à l'hydrogène a endommagé une piscine de rétention située à l'intérieur de l'enceinte de confinement, mardi. L'étanchéité de l'enceinte reste incertaine et un tiers du cœur du réacteur serait endommagé.

Réacteur n° 3 : une explosion a soufflé le toit et certaines parois du bâtiment extérieur, lundi. L'enceinte de confinement pourrait avoir été touchée. Le cœur du réacteur est partiellement endommagé et l'eau de la piscine dans laquelle sont entreposés des combustibles usés serait en ébullition. L'armée a été appelée en renfort jeudi pour larguer de l'eau par hélicoptère et canon à eau.

Réacteur n° 4 : une explosion a eu lieu, mardi, dans ce réacteur à l'arrêt pour maintenance au moment du séisme. Deux incendies se sont déclarés au niveau de la piscine, mardi et mercredi. Sous l'effet de la chaleur, une partie du combustible n'est plus recouverte et les autorités essayent de larguer de l'eau pour empêcher des rejets radioactifs dans l'atmosphère.

  • Comment tenter de refroidir les réacteurs ?

Même si l'énergie que dégagent les réacteurs est de plus en plus faible au cours du temps, ils devront toujours être refroidis pendant des mois avant qu'il n'y ait plus de risque de fonte du cœur. Le seul moyen de refroidir les installations est d'apporter de l'eau en quantité suffisante. Depuis samedi, des camions citernes pompent ainsi l'eau de la mer – à la place de l'eau purifiée normalement utilisée – et l'injectent dans les cuves.

Jeudi matin, pour la première fois, quatre hélicoptères de l'armée japonaise ont aussi réussi à déverser plusieurs tonnes d'eau de mer sur les réacteurs les plus endommagés, principalement le n° 3. Mais à raison de 7,5 m3 d'eau largués à chaque passage, ces quantités restent nettement insuffisantes pour remplir les cuves et les piscines (d'un volume de 1 000 m3 chacune), d'autant que le déversement s'accompagne de pertes inévitables. Mercredi, la présidente du groupe nucléaire français Areva, Anne Lauvergeon, avait ainsi estimé qu'il fallait environ 100 m3 d'eau par heure pour l'ensemble du site.

  • Que se passera-t-il si les réacteurs ne sont pas refroidis à temps ? Quel est le pire scénario ?

En cas d'échec du refroidissement, les cœurs des réacteurs fondraient entièrement. La chaleur dégagée serait telle qu'elle pourrait endommager l'enceinte de confinement, provoquant des rejets radioactifs massifs dans l'atmosphère. Mais cette situation reste hypothétique dans la mesure où ce cas de figure ne s'est jamais produit — le cœur du réacteur n'a pas entièrement fondu à Three Mile Island et il n'y avait pas d'enceinte de confinement à Tchernobyl.

Au-delà du cœur du réacteur, l'état des piscines de déchargement concentre toutes les craintes : l'eau, entrée en ébullition et qui s'évapore, menace de ne plus y assurer le refroidissement du combustible, usé mais toujours fortement radioactif. Si le refroidissement ne s'améliore pas, la totalité du combustible se retrouvera hors de l'eau et les rejets radioactifs seront très importants, les piscines se trouvant quasiment en plein air, sans enceinte de confinement. On serait alors dans la même gamme de rejets que Tchernobyl.

 

Estimation des doses cumulées pour des personnes exposées sans protection aux rejets radioactifs en supposant que le cœur du réacteur numéro 2 de Fukushima Dai-Ichi a fondu à 100 %.

Estimation des doses cumulées pour des personnes exposées sans protection aux rejets radioactifs en supposant que le cœur du réacteur numéro 2 de Fukushima Dai-Ichi a fondu à 100 %.IRSN

 

>> Lire : Le pire des scénarios : des rejets comparables à Tchernobyl

  • Une centrale nucléaire peut-elle exploser comme une bombe atomique ?

Centrales nucléaires et bombes atomiques ont en commun d'utiliser l'énergie très importante contenue dans le noyau des atomes à travers des réactions nucléaires de fission. Mais une centrale ne peut pas exploser comme une bombe, l'uranium utilisé n'étant enrichi qu'à quelques pour cent. En cas d'accident, comme à Fukushima, lorsque de grandes quantités de gaz sont relâchées dans l'enceinte de confinement, la pression se met à grimper, ce qui peut provoquer des explosions. Mais celles-ci sont d'ordre chimique – liées à l'hydrogène –, pas nucléaire. Elles libèrent donc une énergie bien moindre et surtout aucune radiation en soi.

 

 

  • Cet accident est-il comparable à celui de Tchernobyl ?

Dans l'accident de Tchernobyl, c'est une réaction en chaîne non maîtrisée qui a provoqué un emballement du réacteur et donc sa surchauffe, conduisant à une explosion de vapeur ou d'hydrogène. Celle-ci a libéré des produits de fission, propulsés jusqu'à plus de 3 000 mètres dans l'atmosphère. Il n'y avait pas d'enceinte de confinement ni de cuve pour contenir les restes du cœur, comme dans le cas des réacteurs japonais.

A Fukushima la réaction en chaîne s'est arrêtée automatiquement au moment du séisme et la puissance avec laquelle les produits de fission sont libérés est beaucoup plus faible. Hervé Morin, journaliste au Monde, parle de scénario intermédiaire entre Tchernobyl et Three Mile Island en 1979, où la fusion partielle du cœur n'avait pas entraîné de relâchement important de radioactivité dans l'environnement.

>> Lire : Entre Tchernobyl et Three Mile Island

  • Quelles substances le nuage radioactif contient-il ? Peut-il affecter la France ?

Dans un nuage issu d'un accident nucléaire, on trouve des produits de la fission nucléaire, tels que du xénon, du krypton ou du tellure et surtout de l'iode 131 et du césium 137, qui ont le plus grand impact immédiat sur la santé. Pour l'instant, contrairement à la catastrophe de Tchernobyl, les émissions toxiques ne sont pas montées très haut dans l'atmosphère. Le devenir du nuage dépendra des facteurs météorologiques, notamment du vent, et de sa composition précise : la quantité d'iode radioactif se divise par exemple par deux tous les huit jours tandis que pour le césium il faut trente ans.

Il y aura des particules dans l'atmosphère du monde entier. Compte tenu des conditions météorologiques, le premier territoire français touché devrait être Saint-Pierre-et-Miquelon, 5 à 6 jours après les premiers rejets. Mais en raison de la distance qui sépare le Japon et la France, les radionucléides seront dilués au cours de leur transport et se retrouveront à des concentrations beaucoup plus faibles que lors de leur émission.

>> Voir : L'évolution du nuage radioactif

  • A partir de quels seuils les éléments radioactifs sont-ils nocifs pour l'homme ?

La dose normale reçue par l'organisme est d'un millisievert (mSv) par an. On considère alors qu'à partir d'une dose cumulée de 100 mSv, les effets sur la santé sont avérés même s'ils ne sont pas immédiats : il existe ainsi un risque accru de développer certains types de cancer – de la thyroïde notamment, auquel les enfants sont particulièrement exposés. Le risque de cancer augmente ensuite de 5,5 % par sievert. Une exposition de l'ordre de 1 Sv entraîne quant à lui un syndrome d'irradiation aiguë se traduisant par des vomissements, fièvres, diarrhées, hémorragies, infections. Et sans traitement, l'exposition à une dose de 6 Sv est mortelle dans 100 % des cas.

La dose la plus élevée mesurée en une heure sur le site de Fukushima a été de 400 mSv, selon l'Agence internationale de l'énergie atomique. Seules les tumeurs de la glande thyroïde peuvent être efficacement prévenues, par la prise précoce de comprimés d'iode.

>> Lire : Aucune contamination mondiale à cette heure

 

Plusieurs dizaines de "pompiers de Fukushima" se relaient pour tenter de refroidir les réacteurs de la centrale.

Plusieurs dizaines de "pompiers de Fukushima" se relaient pour tenter de refroidir les réacteurs de la centrale.AP/Gregory Bull

 

  • Jusqu'à quels niveaux de radioactivité les combinaisons de protection des salariés de la centrale peuvent-elles résister ?

Les combinaisons, assorties de masques à gaz ou de bonbonnes d'oxygène, protègent les salariés des centrales contre une contamination, en évitant que les particules radioactives ne pénètrent dans l'organisme par la peau, par inhalation ou en étant ingérées. Ces combinaisons ne protègent en revanche pas des radiations. Pour éviter une irradiation trop importante, les salariés ne doivent donc pas rester trop longtemps dans des zones présentant de forts taux de radioactivité.

Deux brèves évacuations du site ont eu lieu mardi et mercredi alors que des débits atteignant 400 mSv/h ont été signalés. Malgré tout, si nulle information n'a filtré sur l'ampleur des radiations subies par les personnels, leur santé est sans aucun doute menacée.

>> Lire : Dans la centrale de Fukushima, la solitude des "pompiers" du nucléaire

  • Quelles sont les pollutions pour l'environnement ?

Le territoire, dans un rayon de 30 km et au-delà, est contaminé par les particules radioactives transportées par le vent et déposées par la pluie – qui concentre les éléments et accélère leur retombée. Dans ces régions, les produits issus des cultures et de l'élevage peuvent être contaminés et devenir impropres à la consommation, notamment en raison du césium 137, dont la demi-vie est longue. Des personnes qui se nourriraient de tels produits pourraient accroître très fortement le niveau de leur contamination.

L'eau de mer utilisée pour refroidir les combustibles ne devrait quant à elle pas être rejetée directement dans l'océan puisqu'elle est transformée en vapeur sous l'effet de la chaleur.

  • Pourquoi n'envisage-t-on pas un sarcophage comme à Tchernobyl ? Les habitants de la région pourront-ils un jour rentrer chez eux sans danger ?

Installer un sarcophage ne semble pas judicieux dans l'immédiat. La radioactivité aux abords du site est en effet trop importante pour permettre d'initier un tel chantier. Et une telle protection ne résoudrait pas le problème de la surchauffe du cœur du réacteur qui, s'il fond, pourrait altérer les différentes enceintes de confinement. La question se posera peut-être si les autorités japonaises parviennent à refroidir les combustibles.

Dans tous les cas, le sol aux abords de la centrale restera contaminé pendant des décennies, voire des siècles. Cela s'explique essentiellement en raison des émissions de césium 137.

Reference lemonde.fr