Climat réchauffé, espèces déplacées

Il y a plein de manières de mesurer les conséquences climatiques du renforcement des gaz à effet de serre dans l’atmosphère. On peut mesurer la hausse de température qu’il entraîne, la montée des océans, les changements dans les précipitations… Une équipe américaine propose un nouveau paramètre: le déplacement des zones climatiques, qui se mesure en kilomètre par an.

Même si cette unité pourrait faire penser à une vitesse, il ne s’agit pas vraiment de déterminer la célérité du réchauffement climatique. Les chercheurs expliquent dans Nature (1) qu’ils ont cherché à évaluer la manière dont les climats locaux ou régionaux se déplacent. Avec une idée en tête: quantifier de combien les espèces animales et végétales doivent se déplacer pour conserver un environnement climatique favorable.

Selon les calculs des trois équipes californiennes associées pour ces travaux, le déplacement climatique se produirait à une moyenne de 0,42 kilomètre par an. Avec des écarts considérables suivant la latitude (ils sont beaucoup plus faible près de l’équateur), et suivant l’altitude (plus elle est élevée, plus le déplacement topologique des climats est faible). Ainsi, selon Scott Loarie et ses collègues, le déplacement serait de 0,08 kilomètre par an dans les forêts tropicales d’altitude, mais plus de quinze fois plus rapide dans les déserts, les mangroves et les régions humides de basse altitude (1,26 km/an).

Pour déterminer ces «vitesses», de déplacement climatiques, les chercheurs se sont appuyés sur les données de température moyenne issues des modèles de prévision climatique, mais pas sur les données de précipitations pour lesquelles les incertitudes sont plus importantes. Les chercheurs justifient ce choix par le nombre d’études qui montre une corrélation entre la distribution des espèces et la variation de température moyenne. Mais ils ont notamment vérifié, par une analyse à partir de données de précipitations, que les ordres de grandeurs des déplacements mesurés ne sont pas chamboulés. Et pour parfaire leur analyse, les chercheurs ont introduit dans leur modèle de calcul les incertitudes —dans le temps et dans l’espace— des données produites par simulations de température (ou de précipitations).

L’ensemble de ces résultats (et l’évaluation de leurs incertitudes) seront très utiles pour les spécialistes de la biodiversité. Et notamment pour évaluer les zones les plus à risque, les régions où les espèces devront se déplacer sur de grandes distances pour conserver un climat favorable. Les chercheurs montrent ainsi que seulement 8% des réserves protégées pourront offrir un abri aux espèces sur de courtes distances. C’est notamment le cas des réserves en altitudes, où il suffit de grimper, ou de changer de versant, pour trouver un climat plus adapté. Un constat qui rejoint d’autres travaux, centrés sur les régions méditerranéennes, publiés il y a un an par des chercheurs français, qui montraient que les zones montagneuses ont été de véritables abris pour la biodiversité depuis plusieurs centaines de milliers d’années (2).

Mais si ces travaux donnent une vision très globale des modifications géographiques du climat, ils ne seront qu’un outil parmi d’autres pour les spécialistes de la conservation des espèces: car certaines espèces s’adaptent plus vite que d’autres, ou supportent de plus grandes variations climatiques. Rien ne remplacera donc le travail de terrain!

(1) Edition du 24 décembre 2009.
(2) Lire, du même auteur, «La Méditerranée, un refuge pour les espèces», Journal du CNRS d’avril 2009.

Image: Simulation du déplacement climatique dans la région de San Francisco (du bleu, lent au rouge, rapide). © Scott R. Loarie/Carnegie Institution for Science

Reference Sciences&Vie