L’Islande s’interroge sur ses volcans

Tandis que la majeure partie des aéroports européens restent fermés, en raison de l’imposant nuages de cendres venues de l’éruption du Eyjafjallajokull, en Islande, les scientifiques s’interrogent sur l’évolution de l’activité volcanique dans le pays.

L’agence Reuters, a questionné des géophysiciens islandais sur un éventuel lien entre le réchauffement climatique et le réveil de l’Eyjafjallajokull. «Aucun», ont répondu les scientifiques. Car le glacier qui surplombe le volcan est trop petit pour modifier la donne géologique. En revanche, il existerait bien un lien entre climat et activité volcanique sur d’autres calottes glaciaires de l’Islande. Freysteinn Sigmundsson, de l’université d’Islande, remarque par exemple qu’il y a dix mille ans, la fin de l’âge glaciaire a coïncidé avec une nette hausse de l’activité volcanique.

Pourquoi faire un tel lien? Parce que le poids de glace comprime les roches. Quand elle disparaît, le niveau du sol s’élève, et modifie la géologie du sous-sol. Ce qui pourrait susciter la formation de poches de magma, et ensuite, provoquer des éruptions. Sigmundsson avait co-signé en 2008 des travaux qui montraient que le plus grand glacier d’Islande, le Vatnajokull, a perdu 10% de sa glace en un siècle. Et que le sol s’est élevé jusqu’à 25 millimètres par an, créant une poche de magma de plus d’un kilomètre cube (1)

Jusqu’à présent, rien n’a démontré l’hypothèse sur un lien entre climat et activité volcanique. Mais le quotidien britannique, le Guardian, relayait dans son édition du 19 avril 2010, l’appel lancé par des scientifiques britanniques, qui jugent nécessaire de développer la recherche sur les conséquences géologiques d’un climat plus chaud.

En Islande, les volcanologues sont plutôt inquiets. Car l’activité suivrait là-bas des cycles de 50 à 80 ans, et la recrudescence des activités sismique et volcanique constatée depuis dix ans laisse penser que l’Islande pourrait connaître une phase très active au cours des vingt prochaines années, rappelle New Scientist.

Certains volcanologues s’inquiètent aussi du rôle de détonateur que pourrait jouer l’éruption en cours de l’Eyjafjallajokull. Car ses trois dernières éruptions (années 920, 1612 et 1821-1823) ont été suivies d’un réveil du Mont Katla, un volcan beaucoup plus dangereux, situé à une vingtaine de kilomètres, qui sait provoquer de spectaculaires inondations (2).

Fort heureusement, le Laki —le plus meurtrier volcan d’Islande— ne donne aucun signe d’inquiétude aux géophysiciens. Sa dernière éruption, en juin 1783, avait tué le quart de la population d’Islande, ainsi que la moitié du bétail sur cette île peu fertile qui a du mal à nourrir sa population.

Pendant neuf mois, le Laki avait diffusé un épais nuage sur l’ensemble de l’Europe pendant neuf mois, rejetant autant de gaz soufrés que l’éruption du Pinatubo, qui avait provoqué une baisse globale de la température de la Terre en 1991. Le climat de l’hémisphère nord en avait profondément été modifié. Aux Etats-Unis, l’hiver 1783-84 avait connu des températures près de cinq degrés inférieures à la normale, d’après des recherches historiques.

L’Europe avait connu un été 1783 caniculaire, suivi d’un hiver particulièrement rigoureux et d’inondations catastrophiques l’année suivante, après la fonte des neiges accumulées l’hiver. Cela avait été dévastateur pour les récoltes sur tout le continent, rappelait tout récemment l’historien français du climat Emmanuel Garnier, dans un ouvrage passionnant publié cette année (3). Le Laki a très certainement joué un rôle dans les événements climatiques qui ont affamé certaines régions d’Europe pendants plusieurs années. Certains historiens pensent même que le Laki porte une part de responsabilité dans la Révolution française de 1789!

Mais pas de panique, l’Eyjafjallajokull est un nain, comparé au Laki, où on avait recensé jusqu’à 130 cratères! Et son éruption, dont personne ne sait combien elle durera, ne devrait pas avoir de conséquences climatiques à moyen terme sur l’Europe. Car les émissions du volcan (cendres et gaz sulfurés) n’ont pas atteint la stratosphère —où elles seraient à l’abri de la pluie—. Et si l’activité économique européenne souffre ces derniers jours de l’interdiction des vols passagers, certains petits malins se frottent les mains. Car des tour operators ont monté des séjours en un temps record, pour offrir l’extraordinaire spectacle d’un volcan actif entouré de glaces… sous un ciel illuminé certaines nuits d’aurores boréales!

(1) Dans certaines régions de Scandinavie, les marégraphes constatent une baisse du niveau de la mer. Pourtant l’océan grimpe, mais moins vite que le sol qui continue à “décompresser” après la disparition d’une calotte glaciaire il y a plusieurs milliers d’années!

(2) Ce dernier a connu beaucoup plus d’éruptions indépendamment de celles de l’Eyjafjallajokull.

(3) «Les dérangements du temps, 500 ans de chaud et de froid en Europe», Editions Plon, 246 pages, 22 euros.

Image: Paysage volcanique en Islande © Denis Delbecq

Reference Science&vie