Les eaux du Liban se vident de leurs poissons

« Avant, on pêchait 40 kg de poisson en quelques heures. Aujourd'hui, on s'estime heureux d'en rapporter un ou deux par jour », lâche avec amertume Moustapha Chaalane, 68 ans, assis en face du pittoresque port de Tyr, dans le sud du Liban, rapporte Jocelyne Zablit de l'AFP.
Surexploitation, pollution et pêche à la dynamite ont ravagé la faune marine sur les 220 kilomètres que compte le littoral méditerranéen libanais, privant les 8 000 pêcheurs de la ville côtière de Tyr de leur principale ressource

« Dans les années 60, 70 et 80, la mer regorgeait de poissons et la situation financière des pêcheurs était très enviable », explique Moustapha, pêcheur depuis l'âge de dix ans et père de sept enfants.

Quelque 2 000 familles vivent de la pêche à Tyr, une ville de 100 000 habitants, selon Khalil Taha, président du syndicat local des pêcheurs.

« Un pêcheur gagnait facilement 500 dollars par semaine, alors qu'il ne touche actuellement que 200 dollars à la fin du mois », soit moins que le salaire minimum (333 dollars), affirme le syndicaliste.

S'il reproche aux pêcheurs cette situation, il accuse également l'État de n'avoir rien fait pour protéger l'industrie. « Nous tirons la sonnette d'alarme depuis plus de 10 ans, mais personne ne fait attention à ce désastre », se plaint-il.

Les experts affirment que plusieurs espèces, dont le rouget, le mérou et les petits barracudas, sont en voie de disparition, principalement en raison des mauvaises pratiques de pêche, souligne l'AFP.

« Nous détruisons notre mer », s'insurge Imad Saoud, scientifique maritime à l'Université américaine de Beyrouth (AUB). « Le problème, c'est que les gens qui profitent en premier de la mer, c'est-à-dire les pêcheurs, sont ceux-là mêmes qui lui nuisent le plus », souligne-t-il.

Selon lui, la pratique illégale de la pêche à la dynamite, à la lance ou au compresseur a porté un tort irrémédiable à l'écosystème maritime.

Les compresseurs insufflent de l'air dans les trous au fond de la mer, faisant sortir les poissons effrayés de leur cachette.

L'eau des égouts se déverse également dans la mer, comprenant parfois des métaux lourds en provenance des usines, comme le cuivre, le zinc et le vanadium.

De plus, certains promoteurs immobiliers ont envahi la côte, sans se soucier de l'impact écologique de leurs projets.

« L'état de la Méditerranée au Liban est désastreux à tous les niveaux et la situation va de mal en pis », avertit Michel Bariche, biologiste marin à l'AUB.

M. Bariche a tenté de convaincre les pêcheurs de créer des réserves marines ou des zones protégées. « Sinon, il n'y aura plus de poissons », a-t-il dit.

La plupart du poisson pêché au Liban proviennent d'Israël ou d'Égypte, les courants poussant les larves en direction du Nord.

Ironie de l'histoire, pendant les 22 années d'occupation israélienne du Liban-Sud, le poisson abondait car les pêcheurs étaient empêchés de s'adonner à cette activité la nuit.

« Après le retrait israélien en 2000, les pêcheurs traquaient les poissons jour et nuit », affirme M. Taha.

Le président du département de la pêche au ministère de l'Agriculture, Dahech el-Mokdad, affirme que le manque de fonds et de volonté politique a empêché tout progrès.

« Nous n'avons pas de patrouilleurs et j'ai présenté il y a trois ans une stratégie pour l'industrie de la pêche, mais en vain », dit-il.

« Lorsque les pêcheurs vous disent qu'ils doivent gagner entre trois et six dollars par jour pour acheter du pain à leur famille, que pouvez-vous leur dire ? » demande le responsable.

« Soit ils ont recours à des pratiques illégales, soit ils meurent de faim », lâche-t-il.

 

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