Le chantier de restauration du Monastère St. Jean de Douma

A une heure et demie de la capitale, Douma semble loin de la vie citadine bruyante. Arrivés à 1100 mètres d’altitude, une route serpente devant nous entre les champs d’oliviers et les plantations en terrasse pour nous révéler soudain la destination de notre escapade : le village de Douma, un lieu intime regroupant maisons traditionnelles à toits plats, maisons bourgeoises à tuiles rouges, églises et temples pa?ens C’est là qu’un monastère reprend actuellement vie…

Douma, village traditionnel et destination pour les adeptes de l’éco-tourisme, offre un caractère authentique au coeur du quotidien des villageois toujours fidèles à leurs métiers hérités de leurs ancêtres, comme les industries de cuir et de bois qui ont connu leur âge d’or à l’époque Ottomane. Douma, du nom de l’impératrice Julia Doumna, épouse de l’empereur romain Septime Sévère (IIIème siècle av-J.C.), est parvenue avec acharnement à conserver ses racines à la différence de bien des villages saccagés par la modernité. Et le monastère Saint Jean-Baptiste en est l’exemple le plus révélateur.

Un monastère revoit le jour

Le monastère Saint Jean-Baptiste, dont une partie fut bâtie au V ème siècle, est paisiblement ancré au versant ouest de la montagne, au bas du village de Douma, sur les vestiges d’un ancien temple romain. Que d’histoires se cachent entre les murs de cette maison de Dieu délaissée depuis la pierre jusqu’à la terre à une destinée inconnue. Jusqu’au jour où une nouvelle communauté monastique orthodoxe - la communauté de la Sainte-Trinité - décide de s’y installer. Après une série de restaurations interrompue, un chantier de restauration sérieux reprend en 1990. Aujourd’hui, ce monastère retrouve son statut initial avec l’ajout d’une nouvelle aile sur deux niveaux intégrant la pierre locale (par récupération) pour l’enveloppe extérieure et le bois pour les parties intérieures. Le chantier a profité de la main d’oeuvre et de l’expérience des ouvriers du village, que ce soit pour la construction et la fabrication de l’ameublement intérieur Un intérieur métamorphosé grâce à l’approche de l’architecte Elie Abi Nassif, enseignant à l’Ecole d’Architecture de l’ALBA : « ainsi, les colonnes en pierre, la ferronnerie, etc., ont été refaites à l’identique. Les mêmes couleurs ont été reprises avec les même matériaux comme la pierre calcaire blanche de la région,le bois de chêne avec le respect des proportions et du gabarit ».

Une expérience personnelle

L’approche de l’architecte Elie Abi Nassif se voulait une réponse harmonieuse, dans le respect des traditions, et un travail délicat dans l’intervention. Face à un édifice délabré, le programme de son projet était de transformer l’existant en un espace vivable tout en retrouvant les fonctions d’origines de chaque espace. Surtout qu’à l’époque de son abandon, de nouvelles fonctions contre-nature sont venues occuper l’espace : caserne, abri pour animaux... « Au début de notre chantier, explique Elie Abi Nassif, l’espace était invivable : un minimum de sanitaires à l’extérieur intégré maladroitement au volume existant, donc une hygiène insuffisante. Pendant des mois, j’ai dû passer des nuits dans un lieu dépourvu de tout confort. C’était un véritable défi pour moi de surmonter cette situation précaire et un souci de réhabilitation que j’ai voulu juste pour ses propriétaires…Une expérience dans laquelle on perçoit le contraste entre les besoins quotidiens du monde qui assure le confort des citadins face à ceux plus modestes des moines, bref deux concepts opposés de vie ! »Sans compter les difficultés relationnelles : « m’intégrer dans le contexte naturel de cette région et partager le quotidien des villageois – et surtout des religieux - ne fut pas si simple au début car ils me prenaient pour un étranger en train d’intervenir sur une terre qui leur était chère. Pourtant, le fait d’intégrer différents corps de métier du village dans notre propre équipe a fini par instaurer un climat de confiance, ce qui nous a permis de mener à bien ce chantier.»

Il a donc fallu au total une dizaine d’années pour que ce projet de restauration aboutisse, d’une part à cause des contraintes techniques de construction(dégradation du site et de l’architecture) et d’autre part par manque de fonds. Mais tout ce temps a été utilisé par l’architecte et son équipe (dont un architecte diplômé en 1997, Spiridon Majdalani) pour effectuer une recherche approfondie sur le contexte religieux de ce monastère.

Une nouvelle caractéristique a été jumelée au projet, à savoir l’ajout d’une aile au couvent Saint Jean-Baptiste, formant ainsi la cour intérieure, pour abriter les cellules et les ateliers des moniales, dans le respect total du style architectural existant. Alors que les moines sont logés dans une ancienne bergerie qui a été transformée en « Kellia »* avec sa propre église (saint-Silouane l’Athonite) : « Le bâtiment a été totalement reconstruit, sauf les parois extérieures ont été préservées, bâties en pierre naturelle ». Les moniales habitent dans le bâtiment principal, le couvent saint-Jean-Baptiste. La qualité spatiale se révèle dans la communication des différents espaces entre eux : un seul lieu de prière divisé en deux églises (l’une dédiée à la Vierge et l’autre à saint-Jean-Baptiste) dans lequel moines et moniales partagent leur prières. On distingue à l’intérieur de la galerie qui mène vers les cellules des moniales une perspective visuelle, tracée par les volumes, qui transpose l’espace en une linéarité et établit un rapport entre l’éphémère et le Divin, soulignant ainsi la relation entre Temporel et Spirituel, un thème essentiel cher à l’architecte Elie Abi Nassif.

Ce thème a d’ailleurs été repris dans le chantier de transformation de la cave en une nouvelle église, celle de la Trinité. Partout, le choix des matériaux de rénovation a été fait pour leur valeur symbolique, tels que la pierre (symbole du monde dense de la matière) et le bois du mobilier (symbole de la croix). Ainsi, dans les églises privées aux religieux, les sièges se réduisent à de simples chaises en bois épurées tandis que pour l’église de la Trinité les bancs et les sièges des religieux ont été inspirés du style gothique, mais simplifié pour s’adapter à l’architecture austère locale.

De nouvelles fresques

Mais le plus impressionnant de tous les éléments de l’église, ce sont les fresques, points culminants de l’espace liturgique. Réalisées par la main de l’artiste-peintre roumain Costel Micou, elles transforment la voûte de l’église de la Trinité en une représentation céleste du berceau de la Bible baignant dans une lueur divine, un effet de lumière conçu par l’architecte. Alors que les fresques des églises privées s’aventuraient sur tout le plafond en révélant des tons pastels sages, dominés par le vert olive qui rappelle les oliviers qui entourent le monastère.

« Pour arriver à ce résultat », explique l’architecte Elie Abi Nassif, « il a fallu réaliser une manœuvre délicate, celle de la consolidation des voûtes par un maillage de fer suivie d’une projection de béton qui sera le support d’une couche d’enduit blanc pour pouvoir peindre les fresques ». De même, les icônes ont été restaurées et de nouvelles ont été ajoutées dans la partie supérieure de l’Iconostase par un artiste libanais d’origine yougoslave, Hakia Bevitch. « Tout ce travail a bien sûr été effectué en étroite concertation entre moi-même, les religieux et les artistes afin de créer une harmonie parfaite et de retransmettre le message évangélique dans sa plus belle image ».

Jehanne Zeidan, Archi 6

* Mot grec désignant un ensemble de bâtiments dépendant d’un grand monastère

 LINK :

http://www.alba.edu/albatros/0607-douma.html